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Les outils de la blessure et leur symbolique.

A la sortie de ses études aux Beaux-Arts de Paris, Gina Pane utilisait pour son art des matériaux traditionnels, sa peinture et sa sculpture rappelait l’abstraction géométrique des constructivistes russes ou celle de Malevitch,  elle se rapprochait assez du Suprématisme.

C’est seulement quelques années plus tard que l’artiste se lança dans le body-art, les matériaux changèrent, pour devenir objets de blessure aussi bien agressifs qu’enfantins.

Gina Pane joua même sur ce contraste entre l’agressif et l’agréable, avec l’utilisation de fleurs par exemple (matériau naturel et bénin), comme dans son action Azione Sentimentale de 1973, où elle utilisait aussi bien l’image douce de la rose que ses épines pour se les planter dans le bras, elle dessinait alors une sorte de tige sur son bras et incisait la paume de sa main à l’aide d’une lame de rasoir afin d’évoquer les pétales. Elle exécutait cette séquence deux fois, l’une avec un bouquet de roses rouges et l’autre avec un bouquet de roses blanches. Elle avait déjà utilisé des matériaux naturels lors de ses premières actions, qui se déroulaient au plus près de la nature, loin des galeries (Pierres déplacées, Enfoncement d’un rayon de soleil) 1968.

Gina Pane utilisait la lame de rasoir pour toutes sortes de mutilations car elle génèrait une plaie saignante mais bénine, non profonde et réclamant peu de temps de cicatrisation, s’y ajoutait aussi une qualité d’hygiène.

Les outils les plus agressifs constituaient en eux-même un élément de violence et une certaine provocation morale, avant même leur utilisation. Du côté des objets dit « agréables » on retrouvait des jouets, des polaroïds, où encore un pantin dans l’action Laure (1970). Il arrivait aussi qu’elle fasse appel à la nourriture: le lait, par exemple, en référence à l’enfance. Cependant son sang, sa chair, sa matière biologique restaient ses principaux outils car ils avaient plus d’impact visuel sur le spectateur. Ceux-ci, gênés par le sang, ressentaient un mal-être face à la douleur physique et un dégoût face à l’impudeur d’une ouverture corporelle assumée.

A ce propos voici un article sur l’enveloppe corporelle et son utilisation médicale et artistique :

http://journals.uvic.ca/index.php/racar/article/view/16/57

Florence Vinit, « Histoires d’enveloppe. Considérations médicales et artistiques sur la peau » Université Concordia, département d’anthropologie Centre de recherche sur la sensorialité, paru dans RACAR (Revue d’art canadienne),Vol 33, No 1–2 (2008)

Cet article tente de mettre en évidence différentes modalités du rapport à l’enveloppe corporelle, tour à tour vécue dans notre culture: La peau comme écran, comme écart ou encore comme un mur à percer… L’existence d’une enveloppe de peau délimite une intériorité. La condition humaine occidentale transforme l’enveloppe cutanée en un lieu d’investissement important de représentations artistiques. La partie qui nous intéresse particulièrement est intitulée : « La culture, une peau collective ? » La mutilation apparaît à la fois comme une revendication subjective mais aussi comme une façon de faire exister, en les rendant sensibles, les limites du corps.